POURQUOI ?
L'express.fr paru le 22/08
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/russie-georgie-les-enjeux-du-conflit-en-7-points_553120.html
Le chercheur Gaïdz Minassian, chercheur en relations internationales au groupe d'analyse politique de l'université Paris X-Nanterre et auteur de Caucase du Sud, la nouvelle guerre froide (Autrement). déchiffre en sept points clefs les enjeux du conflit russo-géorgien.
1. Quels facteurs ont pu décider Mikheïl Saakachvili à intervenir brusquement en Ossétie du Sud?
Depuis le début de son mandat, il cherche à reprendre le contrôle de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie au nom de l'intégrité de la Géorgie. Il a voulu internationaliser la crise ossète pour changer de cadre de résolution du conflit. Il a misé sur l'Ossétie du Sud, dont la valeur stratégique est plus faible que celle de l'Abkhazie, et d'après certaines sources il pensait que la Russie ne bougerait pas. Mais toute la lumière n'est pas faite sur ce point.
2. Que s'est-il passé à Moscou qui explique une telle réaction russe?
La Russie a brutalement répondu à une "agression" de la Géorgie contre les Ossètes, naturalisés russes, pour la "punir" et humilier son armée. La Russie veut ainsi marquer la fin de son reflux et empêcher l'adhésion de la Géorgie à l'Otan. Elle entend maintenir une forte rivalité avec les Etats-Unis autour du bassin de la mer Noire. A la marge, il y a aussi les mauvaises relations entre Poutine et Saakachvili.
3. Quel est le fond du contentieux existant entre la Géorgie et la Russie?
Ce sont deux nationalismes farouches: l'héritage impérial russe contre l'ambition d'un Etat-nation géorgien; la Russie réfléchit en termes de zone d'influence, la Géorgie, en termes d'indépendance; le littoral géorgien, Moscou cherche à le réduire, Tbilissi à le consolider; la Russie perçoit l'Otan comme un système tourné contre elle alors que la Géorgie y voit une protection; enfin les projets rivaux de pipelines américains et russes ont bénéficié à la Géorgie, qui s'est transformée en territoire de transit d'une route énergétique contournant la Russie.
4. Quel enjeu représente le Caucase pour la Russie actuelle?
La Russie a mis trois siècles à conquérir le Caucase. Le contrôler, c'est s'ouvrir sur le Proche-Orient et l'Iran. L'Arménie, alliée stratégique de Moscou, abrite trois bases russes pour renforcer sa sécurité. L'Azerbaïdjan a normalisé sa relation avec la Russie en dépit du problème du Haut-Karabagh, qui l'oppose à l'Arménie. Moscou entretient d'excellentes relations économiques avec Bakou et Erevan, et d'importantes sociétés russes sont présentes sur le marché géorgien.
5. Quelle était la stratégie des Américains en prenant pied en Géorgie?
Les Etats-Unis cherchent à élargir leur influence sur la périphérie de la Russie. Ils se concentrent sur l'Ukraine, le Caucase du Sud et l'Asie centrale. Ils ont pour ambition de contrôler les routes des hydrocarbures et d'empêcher la Russie de redevenir une grande puissance. Washington veut placer sous le parapluie de l'Otan les Etats postsoviétiques qui le souhaitent. Contrôler le Caucase du Sud achève également l'encerclement de l'Iran.
6. Est-ce que la crise actuelle remet en question la présence américaine?
Non. Washington va être plus prudent dans sa stratégie régionale. Si le Conseil de sécurité de l'ONU adopte un texte qui mentionne une présence internationale dans les provinces ossète et abkhaze dans le cadre d'une mission de paix en Géorgie, ce serait un point positif pour Washington et un succès pour Tbilissi. Mais sous quelle égide, ONU, OSCE, UE? Et de quel type, observation ou autre?
7. Quel est l'impact prévisible sur l'ensemble de la région caucasienne?
Le Caucase du Sud a pour le moins gagné en visibilité, et tout recours à la force dans les autres conflits régionaux semble exclu ou très risqué dans la crise du Haut-Karabagh. Mais les Géorgiens vont sûrement demander des comptes à leur président. Saakachvili sort donc très affaibli de la crise. Surtout, la Géorgie a échoué dans son projet de devenir le pivot du Caucase du Sud.